L’entreprise montréalaise Cook It, spécialisée dans le prêt-à-manger et le prêt-à-cuisiner, illustre bien cette tendance. Bien qu’elle soit en pleine expansion, elle déménagera en janvier prochain son siège social de la rue Sherbrooke dans des locaux trois fois plus petits situés dans le Vieux-Montréal. « Nous passons de 12 000 pieds carrés (près de 1 115 mètres carrés) à 4 500 pieds carrés (418 mètres carrés), mais cela va nous coûter à peu près le même », explique la présidente et cofondatrice de Cook It, Judith Fetzer. Avec des employés travaillant la plupart du temps à domicile, l’entreprise a choisi de déménager d’un immeuble en grand besoin de rénovation vers un immeuble plus prestigieux. « Il s’agit vraiment d’améliorer l’expérience ’employé’, c’est la première chose. Il s’agit d’offrir quelque chose d’attirant, d’invitant, pour que les gens aient vraiment envie de venir. » — Une citation de Judith Fetzer, présidente et cofondatrice de Cook It Cook It est actuellement situé sur la rue Sherbrooke à Montréal. Photo : Radio Canada Associé chez Avison Young, l’agent immobilier Laurent Bennarous constate que plusieurs entreprises prennent des décisions similaires. Les gens échangent deux pieds carrés dans un immeuble ordinaire contre un pied carré dans un immeuble de luxe et au final le coût d’utilisation est le même pour eux. C’est une migration vers des produits de qualité. Finalement, cependant, les surfaces locatives diminuent. Dans le quartier des affaires, le taux de vacance des tours de bureaux est passé de 9 % à 18 % depuis le début de la pandémie. « Donc, au centre-ville de Montréal, vous avez trois fois plus que le 1 Place Ville Marie qui a été libéré. » — Une citation de Laurent Bennarous, associé chez Avison Young Le 1 Place Ville Marie est l’un des gratte-ciel les plus hauts de Montréal et compte plus de 1,6 million de pieds carrés d’espace de bureau. Photo : Radio-Canada / Charles Contant Et les bureaux ne cessent de se vider. Lorsque leurs baux, généralement d’une durée de 5 à 10 ans, arrivent à expiration, de nombreuses entreprises se déchargent de l’espace excédentaire. Ce que l’on observe en moyenne, c’est une diminution de 20 à 30 % des surfaces locatives, précise Laurent Bennarous.
Un marché au profit des locataires
Dans le secteur des bureaux, un taux de vacance de 10 % est considéré comme le point d’équilibre du marché. Il était pro-propriétaire avant la pandémie et est devenu pro-locataire pratiquement du jour au lendemain. Pour attirer et fidéliser leur clientèle, les propriétaires doivent baisser les prix des loyers et offrir des incitatifs de plus en plus importants, indique Christian Charbonneau, vice-président de CBRE Montréal. C’est de la concurrence, c’est un marché ouvert. Pour qu’un locataire choisisse d’emménager dans un immeuble plutôt qu’un autre, un propriétaire dira, je suis prêt à vous donner 100 $ le pied carré pour emménager dans mon établissement et peut-être que je vous donnerai 12 ou 24 mois de loyer gratuit. Dans ce contexte, les immeubles moins bien situés ou vieillissants seront délaissés. Nous allons voir des rénovations, et nous avons déjà vu cela avec quelques bâtiments ici à Montréal, a déclaré la vice-présidente principale et directrice générale de CBRE Montréal, Ruth Fischer.
Les propriétaires doivent se réinventer
Le grand patron de Canderel, Brett Miller, nous a rencontrés dans une tour de l’avenue McGill College pour notre entrevue. Son entreprise de développement immobilier gère plusieurs immeubles au centre-ville de Montréal et ailleurs au pays. Il nous emmène chez un locataire où se trouvent quelques rares ouvriers parmi des dizaines de bureaux vides. Bien que la vue sur la métropole soit à couper le souffle, les travailleurs semblent préférer travailler dans le confort de leur foyer. Reste que l’homme d’affaires, qui travaille dans l’immobilier depuis plus de 30 ans, affiche un certain optimisme. Il pense que les travailleurs retourneront au bureau en plus grand nombre d’ici 6 à 12 mois. Certaines entreprises ont déclaré : “Nous fermons complètement nos bureaux juste pour économiser de l’argent.” Mais il y en a d’autres qui disent : “Non, on va louer dans les meilleurs immeubles, dans les meilleurs espaces, on va réinvestir pour effectivement ‘ré-attirer’ nos salariés au travail.” Le PDG de Canderel, Brett Miller, dans une salle de la tour au 1981, avenue McGill College. Photo : Radio Canada Mais Brett Miller convient que les propriétaires d’immeubles doivent être flexibles, notamment en proposant des baux plus courts et en les rendant aussi attrayants que possible. Au 1981, avenue McGill College, par exemple, un salon des travailleurs a été aménagé à l’entrée et un centre d’éducation physique est en construction. Les employés n’auront pas à s’abonner et à payer pour une salle de sport, ils l’ont sur leur lieu de travail. C’est sans compter les cours de yoga, les fêtes d’Halloween et de Noël… Bref, les propriétaires d’immeubles doivent maintenant se montrer pour se démarquer. “Pensez-y comme à un hôtel de charme. Ce n’est pas seulement le lit que vous louez, c’est aussi une expérience, c’est donc le défi pour les propriétaires d’aujourd’hui. » — Une citation de Brett Miller, PDG de Canderel
Les concessionnaires gardent
Avant la pandémie, plus de 300 000 personnes se rassemblaient dans le centre-ville du lundi au vendredi pour aller travailler dans les tours de bureaux. La baisse de trafic induite par le télétravail est particulièrement sensible dans les entreprises spécifiquement conçues pour le télétravail. Pouvez-vous imaginer le cordonnier, le nettoyeur ou le comptoir à sandwich qui se trouvait à l’intérieur de la tour de bureaux, [ils] sont les premiers à vraiment souffrir de cette absence de travailleurs, affirme Glenn Castanheira, directeur général de l’entreprise de développement commercial Montréal centre-ville. Mais dans l’ensemble, les commerçants tiennent bon. Le taux de vacance des locaux commerciaux est actuellement d’environ 15% dans le quartier d’affaires. Si l’on prend la rue Sainte-Catherine, qui est vraiment l’épine dorsale du centre-ville, plusieurs détaillants rapportent des ventes similaires ou meilleures qu’en 2019. “Il n’y a pas de carnage, nous ne sommes pas loin d’où nous étions avant la pandémie. » — Une citation de Glenn Castanheira, directeur général de Montréal Centre-Ville Le directeur de l’entreprise de développement commercial Montréal centre-ville, Glenn Castanheira Photo : INM La vitalité du centre-ville dépend de plus en plus de sa population locale croissante. De 2016 à 2021, le nombre de résidents a augmenté de 17 % dans la municipalité de Ville-Marie, atteignant près de 105 000 personnes. Il n’y a que dans le centre-ville que l’augmentation est de 40 %. Les habitants du centre-ville ne pourront jamais rattraper seuls le trafic perdu, qu’il s’agisse de travailleurs, de visiteurs ou d’autres personnes, déclare Glenn Castanheira. Au lieu de cela, je vous dirais, le centre-ville pourrait-il vivre sans ses habitants ? Eh bien, je serais beaucoup moins optimiste.